Les matins du Nouveau Monde by Berger

Les matins du Nouveau Monde by Berger

Auteur:Berger
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset


Et elle finit quand même par s'en venir, cette journée de grande mémoire, imprévisible, au moins pour moi, et que rien n'avait annoncée, aucune rumeur... Un jour qui allait compter, alors que j'avais repris l'école depuis plus d'un mois. Mon père, à la recherche d'un camion, était monté la veille dans les Alpes, où on lui avait signalé une affaire, preuve, s'il en est, qu'il n'attendait pas plus que moi un événement à nos portes. Nos portes ? Notre maison, en bordure de la nationale 7, n'était pas troublée, depuis l'armistice, par le passage de véhicules divers, camions et voitures. Il nous arrivait même souvent, à mon frère Henri et à moi, de jouer sur la route sans que, des heures durant, nous eussions à nous écarter parce qu'une automobile, pour nous prévenir, aurait claque-sonné. Sauf pour le carrousel des bicyclettes, à des heures bien établies, le matin avant 8 heures, le soir à 18, où nous disparaissions, rien ne troublait nos jeux et notre occupation continue de la route...

Journée de grande mémoire : un 11 novembre, et le défilé, qui s'arrêterait avec la nuit, reprendrait le lendemain, serré, massif, et encore le jour suivant, mais plus lâche, pour mourir le soir du troisième jour. Le plus grand défilé que j'eusse jamais vu alors, composé de tout ce qu'une armée peut assembler en matière de chars d'assaut, à roues ou à chenilles, d'autos blindées, d'engins amphibies, de canons petits et gros, tractés ou portés, de side-cars, de command-cars, de halftracks, de chenillettes, d'automitrailleuses, de mitrailleuses juchées au faîte de tourelles ou au sommet des cabines de camions, de fusils-mitrailleurs en batterie également, prêts à servir, prêts à tirer, et les camions eux-mêmes emplis plein bord de soldats verts assis sur des banquettes de chaque côté le long des ridelles, soldats serrés comme des soldats, à raison, je pense, de dix à quinze par rangée, qui se faisaient face, et sur ces Mercedes dont aucun n'était bâché, comme si on eût voulu, par le nombre et l'apparence des soldats montrés, impressionner la population, on les découvrait en même temps que leur fusil, qu'ils tenaient entre leurs jambes, et dont l'extrémité leur arrivait à hauteur de casque. Entre les deux rangs de soldats assis, quelques soldats debout, ceints d'une longue boîte pour masque à gaz. Des milliers et des milliers de camions gris qui descendaient en un flux lent et luisant sous le soleil d'automne, sinuant selon les courbes de la route, à ce point collés les uns aux autres que nul ne se fût risqué à traverser et l'on eût cru voir, immense, sans tête et sans queue, composé des seuls anneaux grondants et monstrueux que lui faisaient les engins, quelque serpent antédiluvien, survivant d'une Histoire porteuse de légendes et de terreur et si maladroit à se déplacer qu'il semblait voué, dans un cauchemar gris de fin du monde, à toujours ramper, insensible et inlassable... Autour de lui, pétaradant, vibrant, se donnant à des courses brèves et folles, l'essaim des motos



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.